Station#26

2020-2021
Le Monde sonore au temps du Coronavirus

Travaux des Étudiantes et des Étudiants de L’Atelier sonore d’esthétique :
Germain Bruyas, Xénia Cohen, Louna Delavis, Axelle Devaux, Marine Eigel, Flora Jamar, Florian Lecesve, Léa Lory, Ketsana Phetdara, Yuanxu Wang, Zhang Zhou ainsi que de A. C.

Le Monde sonore au temps du Coronavirus I & II

« Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur »
Jean Cocteau, Les Mariés de la tour Eiffel, 1923.

Lors de la première période de confinement (I. 17 mars-11 mai 2020), puis de la deuxième (II. 30 octobre-15 décembre 2020), répondant à l’épidémie du Coronavirus, un ensemble de propositions entre journal et fragment du monde sonore (musique, voix, bruits, sons technologiques…) qui fut le quotidien des Étudiantes et des Étudiants de L’Atelier sonore d’esthétique est ici présenté sous forme de vidéo, d’écrit, de photographie, de son, de dessin, allusif, concret ou métaphorique.

Une précision méthodologique, l’ordre d’apparition, des travaux des Étudiantes et des Étudiants dans ce Journal du Monde sonore au temps du Coronavirus, n’est pas celui de leur création mais de leur envoi et de leur réception sur cette page dédiée. La date de leur création est évidemment indiquée, mais en liaison cette fois avec son intitulé.

Illustration de couverture : Jérôme Bosch, L’Enfer du musicien (détail) in
Le Jardin des délices (1494-1505).

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Le Monde sonore au temps du Coronavirus I

9 avril 2020

 
Zhang Zhou, Le Sifflement (dédié au docteur Wenliang Li), photogramme (vidéo), 3 avril 2020.

« Le docteur Wenliang Li est le médecin qui a révélé pour la première fois au public le virus de Wuhan et a été réprimandé pour cela par la police chinoise. Plus tard, il devait décéder du Coronavirus. De plus, lors du virus de Wuhan, le sifflement est devenu une sorte de “ rébellion ”. En Chine, le siffleur veut faire passer un message, très secret, comme un espion. À Wuhan, on siffle la nuit pour commémorer le docteur Wenliang Li. » Zhang Zhou.
<Zhang Zhou_Le Sifflement (dédié au docteur Wenliang Li)>

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30 avril 2020


Flora Jamar : « À propos du mémoire en cours d’écriture “ À la recherche de John Travolta ”, je travaille entre autres sur la comédie musicale »,
30 avril 2020.

Illustration : Vincente Minnelli, Un Américain à Paris, 1951.

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7 mai 2020

Marine Eigel, Journal sonore (photographies Polaroïds & numériques),
7 mai 2020.

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7 mai 2020

Ketsana Phetdara, Nul Le Confinement, photogramme (vidéo),
23 avril 2020.

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13 mai 2020

Yuanxu Wang, 2 Écrans de Confinement, trois photogrammes (vidéo),
23 avril 2020.

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20 mai 2020

Axelle Devaux, Les Confins, Lettre à Céline Minard & photographie,
3 avril 2020.

Madame Céline Minard,
Je suis assise à une table de travail. Elle est plutôt grande, et carrée. Posés dessus, il y a mon ordinateur, des feuilles volantes, un taille-crayon, et trois carnets. L’un pour recenser les émissions que j’écoute et regarde, un autre pour la prose, et un dernier plus intime. Je ne sais pas trop dans lequel je dois rédiger le brouillon de cette lettre. Je suis assise à une table de travail. Dans une pièce où les fenêtres sont fermées. Voilà plus d’un an que je vous lis à présent. Une fois de plus, j’imagine que vous me faites face. Vous souriez, amusée de l’ironie. Je ne crois pas au hasard.
Quelques mois plus tôt, je discutais en vous lisant de l’impossibilité qu’a le monde d’arrêter son flux. Qu’il n’était pas faisable de prendre un temps de pause, un temps de recul sur sa propre vie sans que les choses autour de soi continuent inlassablement d’avancer. Et aujourd’hui, je suis comme l’un des personnages de vos livres ; confinée, et je possède du temps, du temps qui n’a plus vraiment de valeur jusqu’à nouvel ordre.
Si j’ai bien retenu une chose en lisant vos œuvres, c’est qu’être enfermée ou seule n’est jamais un frein à l’imagination et la création. Mais, à présent que je me retrouve au pied du mur, en face de ces journées où je peux enfin mettre 48 heures dans 24… Maintenant ? Maintenant que j’y suis que se passera-t-il ?
Vous continuez de me sourire. Que se passera-t-il si je n’y arrive pas alors que rien ne m’arrête ? Si à la fin, mes murs sont restés blancs et mes cahiers vides, qu’est-ce que cela signifiera ?
Vous ne répondez pas à mes questions. Vous vous contentez de me regarder et à présent je me demande qui de moi ou de vous est réellement dans la pièce. Chère Céline. Si écrire me permet de dilater l’espace de l’endroit où je suis, si cela me permet d’habiller mes murs. Si moi aussi je parviens à sortir de mon bunker saine et sauve, et que nous nous retrouvons finalement face à face pour de bon, je vous fais la promesse de vous offrir votre vin préféré.
                                                                         Bien à vous,
                                                                         Axelle Devaux

                                                                        *

26 mai 2020

Germain Bruyas, Trois poèmes pour un confinement – L’homme qui était mort (avec un titre emprunté à D. H. Lawrence), Visage, Mendelssohn,
10 mai 2020.

                                                    L’HOMME QUI ÉTAIT MORT

à Reina Maria Rodriguez

Lui aussi vient du sud, le
sud-de-paris ; au sud de la page
plus bas dans le pays
que le paysage le plus plat ;
plus loin de la dureté du bitume éclairé
que la matière la plus spectrale –
l’homme du poème nu ;
plus diaphane que le manque le plus serein.

Il vient avec le papier, la première feuille
partager sa découverte
coloniser le pérenne en y imposant ses mains,
ses taxes dans l’éphémère ; des cordes tendues
qui d’un bout soudain se relâchent.

Bruit mat sur la poussière
quand il écrit en elle ;
une mélodie lève comme une pâte à pain,
aléatoire et belle,
pétulante

et humble comme un biche qui s’éloigne d’une chaussée ; timide
après l’acte amoureux,
créateur.

                                                                        *

Lorsqu’il s’inclut enfin à sa destination,
tout le monde est déjà là, attablé autour de tables en bois
rondes, communautaires ; des chaises noires,
un bol par table rempli de petits compartiments individuels de confiture :

gusto DeBrio / confiture de Prune
et rien que les fantômes de demain
le matin ; pèlerins discutant
qui ne s’embrasseront pas
qui se diront BONJOUR de loin
qui circuleront sous des carrés de lumière
et la lumière du soleil
la pluie, probablement.

VISAGE

Le visage humain est une force vide.
Antonin Artaud

1.
Alors le ciel s’est laissé ouvrir
comme par un grand scalpel
on a vu les planètes décorées des guirlandes
l’espace minuscule
des murmures lui dire : « Viens ! ».

C’est un éclair qui tombe le dimanche de cette minute,
brutal, sombre ou transparent,
exactement comme le renoncement
qui le précède
et celui qui suivra.

C’est une chambre, une force
vide.

2.
Soir et nuit,
bleu et lumière,
ciel et noir.

Ce qu’on voit dans la glace.

Dès cette perspective – en ligne, en routes parcourues automatiquement ;
des retrouvailles à venir
de l’expérience du prochain-touché
un oiseau
étrange
vient du Sud,
s’évade par la vitre

et la flèche est si lente.

                                                    MENDELSSOHN

le mot “ immense ’’ ressemble au pan de ciel du velux
aux découpes par les branches de ciel
aux cinq minutes pour te jouer que le jour prend
pour faire jour et place
aux clartés par retenir la terre
croche                    blanche          pause
aux gants du pianiste son usage furtif de la pédale
la réponse immense que tu réponds
prend la place du jour

                                                                        *

où l’espérance en pleine mesure où
l’image de peupliers au morceau que l’on entame
« vous, écoutez la reine ! »
« allez, au carrosse. »
marche          andante
les robes gonflées de soleil où la souplesse
du toit sous les pas des pigeons

                                                                       Germain Bruyas

                                                                        *

12 janvier 2021

Louna Delavis, Premier confinement (son & une photographie),
17 mars-11 mai 2020, 3 mn 41.

« 55 jours pour faire cet audio de recueil de témoignages sur des vies suspendues questionnant le futur du monde à travers Véronique, 60 ans, Marseille ; Valérie, 56 ans, Le Croisic ; Emmanuelle, 41 ans, Canada et son fils 8 ans ; Angela 60 ans, Le Havre.
La photographie est, quant à elle, une image d’assemblage de photographies sur papier, prises par les participants de l’audio et par moi-même : ce sont des choses routinières faites et vues pendant le confinement et qui l’accompagnaient. »

                                                                                   Louna Delavis

                                                                *
11 février 2021

Florian Lecesve, Introduction au Jugement du Roi de Navarre,
pièce radiophonique, 10 mai 2020, 10 mn 07.
«
Pièce radiophonique réalisée en mai 2020, à partir d’un texte du livre
Le Jugement du Roi de Navarre de Guillaume de Machaut (vers 1349).
J’ai profité du confinement pour me documenter sur ce qu’était l’épidémie de peste noire. Et j’ai retrouvé ce texte de 1349 écrit par Guillaume de Machaut. Que j’ai adapté en français moderne.
Voici donc une pièce radiophonique composée d’une lecture de ce texte et de la vision du compositeur sur l’épidémie qui frappa l’Europe au XIVe siècle. »
Florian Lecesve.
<Introduction au Jugement du Roi de Navarre>                

                                                                          **

Le Monde sonore au temps du Coronavirus II

19 mars 2021


Léa Lory, Avant d’oublier, 1,50 x 1m (support : papier), 15 décembre 2020.

« Avant d’oublier est une cartographie de mes pensées, de circuits de raisonnements, de mes doutes mais c’est surtout une trace. Cette recherche a débuté durant le deuxième confinement qui nous a été imposé au mois de novembre 2020 [ndlr : 30 octobre-15 décembre 2020]. Une période durant laquelle j’ai ressenti un besoin physique d’extérioriser mais aussi d’immortaliser, d’archiver par l’écriture ce par quoi je passais. Éprise d’un état où mes humeurs se transformaient en un rien de temps, où mes émotions semblaient déréglées ; je souhaitais par la réalisation de ce projet, comprendre, m’apporter des clés de compréhension sur mon propre fonctionnement psychologique et affectif. Cette carte révèle comment les interdépendances existantes entre les divers éléments de nos vies peuvent s’entrecroiser, s’entremêler jusqu’à définir nos humeurs. » Léa Lory.

                                                                        *

23 mars 2021

Xénia Cohen, Jour 28 (30 octobre-15 décembre 2020), 23 mars 2021.

                                                                 

                                                                      ***

Alexandre Castant,  Virus, varia (1),  extrait de Virus, Varia,
17 mars-11 mai 2020
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                                                    VIRUS, VARIA (1)

L’ennemi est là, invisible, paraît-il
Entre complotisme et parapluie
Monde orwellien, risques sanitaires et solidarité
Virus mutant et inquiétude mondiale

Faut-il y croire ? Encore ?
Faut-il le croire ? De ma fenêtre
Les rues sont vides
Les Parisiens sont séparés/par une longueur

De deux pas

Les travailleurs indépendants n’ont plus d’argent
Les travailleurs clandestins n’ont pas d’argent
Histoire d’un baisser de rideau ? Les cafés, les restaurants, les commerces
Jusqu’à quand ? Les ondes semblent mauvaises

Paris se désemplit/déserté/dépeuplé
Dernière représentation ? Jusqu’à nouvel ordre
Dernière représentation… Avant ?
Isolés, repliés, reclus

Les manutentionnaires/devant un écran de silence/croient avoir pleuré

On meurt beaucoup maintenant
On a peur maintenant
On s’éloigne les uns des autres maintenant
Il faut lire, écrire, lire et écrire

Plus de gel hydroalcoolique,
Plus de masques, plus de médecins
Plus de départ/sauf/pour la traversée du Styx
Plus de gel : l’Hydre est diabolique

J’ai froid, je tremble, je n’ai pas de masques et nous tousserons ensemble

Panique dans la rue d’Elia Kazan ? À voir
Dès que l’électricité se rallumera
Dès qu’internet à nouveau marchera
Dès que le jour reviendra

L’avenue de la Grande-Armée ? filmée comme une absence ?
Les images de Jean-Pierre Melville mises à part
Il y a une histoire du cauchemar et il s’en croyait protégé
Pourtant/elle avait été peinte/par le royaume en exil/de l’éléphant noir
                  à l’écharpe brodée

Et si les plantes en plastique se déshydrataient aussi ?

                                                                       Alexandre Castant

Alexandre Castant,  Virus, varia (1),  extrait de Virus, Varia,
17 mars-11 mai 2020
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                                                                           27 septembre 2020

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Le Monde sonore au temps du Coronavirus
sur le site de l’École nationale supérieure d’art de Bourges :
<https://www.ensa-bourges.fr/index.php/fr/2-infos/7569-l-atelier-sonore-d-esthetique-travaille-sur-le-monde-sonore-au-temps-du-coronavirus>